Au petit matin, je me lance a faire du stop en marchant sur la quatre voies
de contournement de Tyumen. Ce n’est pas l’ideal mais une large bande d’arret
d’urgence non bitume m’assure une part de securite. Je souhaite alors rejoindre
un rond point a 1 ou 2 km pour etre place convenablement quand, un jeune couple
me propose de m’avancer sur 4 km. Parfait ! Je dois juste insister pour
qu’ils me deposent au rond point et non plus loin. C’est en effet plus
interessant compte tenu que les automobilistes conduisent plus lentement, leur
permettant de bien lire ma pancarte, prendre le temps d’y reflechir et de
s’arreter prudemment pour eux et pour moi.
Poste a la sortie de ce rond point, un nuage de poussiere s’abat sur moi a
chaque passage de camion et ce, pendant 30
ou 45 minutes. Pourtant cela n’empeche pas Vladimir, un vieux monsieur
dans sa vielle voiture, de me prendre a son bord jusqu'à une station service au
niveau de Yalatorovsk. J’y fais alors le tour des routiers, toujours avec ma
phrase prenotee expliquant mon statut d’autostoppeur et indiquant ma direction.
Je leur demande aussi de passer un appel radio mais sans reponse. En continuant
ma deambulation, je tombe avec surprise sur un camion Polonais vers lequel
je m’empresse pour saluer chaleureusement ce confrere europeen. Mais
malheureusement il prend la direction opposee sans quoi il m’aurait embarque.
Alors de retour sur le bord de la route, je recoit la seconde couche de
poussiere avant qu’une Lada s’arrete et m’emmene jusque Ishim, ou apres une
troisieme couche Alexander, le livreur de pain, m’invite dans sa fourgonette
jusque Omsk d’où il est parti ce matin meme.
Les paysages s’elargissent, l’Oural est déjà loin, place a la Siberie.
Qu’il est impressionnant d’imaginer ces etendues de plaines couvertes de blanc
et par de rudes hivers.
Pour continuer l’observation de la nature je constate qu’ici, le cannabis pousse sur le bord des routes, dans les champs et en bordure de potagers, telle une mauvaise herbe.
Alexander m'explique que l'allee retour se fait dans la journee en ete mais
il me donne l'impression qu'il ne faut pas chercher a compter en periode
hivernale. Mieux vaut partir avec des vivres et un bon duvet !
De plus en plus, je me dis qu'il serait tout aussi interessant de traverser
la Russie en hiver, meme si d'avantage de precautions seraient a prendre.
Finalement, c'est cette part d'extremes qui rend la Russie attirante en depit
de sa politique. Il y a des cons, des situations surprenantes, des moeurs
inhabituelles. En soit des differences comme partout. Et que pensent les
cultures etrangeres de la notre ? C'est pourquoi, plutot que de juger un
environnement par rapport a nos references culturelles dans lesquelles nous
sommes scerne, je prefere tant bien que mal l'analyser selon les moeurs locales
observees. Cette philosophie, qui reste a excercer, est en quelque sorte la cle
de voute de mon voyage ; celle qui ouvre mon champ de vision et fait me sentir
si bien sur la route, ouvert a l'inconnu. Il y aurait de nombreuses manieres de
l'expliquer mais la plus juste est la plus simple se resume a la Liberte. Pas
celle que l'on dit a haute voix sans se rendre compte de sa juste valeur, mais
celle que l'on peut ressentir du plus profond de nos entrailles. Rare est ce
frisson, alors il faut se battre pour le trouver.
Alexandre, avec qui je roule 300 km soit 4h, est de ceux qui rendent le
voyage des plus agreable. Il a de legeres notions d'anglais et cherche malgre
tout a communiquer meme si c'est le plus souvent en russe. J'ai alors, tout le
long du trajet, mon Assimil sous la main pour faire ma part d'efforts. C'est en
effet ainsi que l'on apprend le plus une langue : baigne dedans jusqu'au cou.
De temps en temps, l'incomprehension prend le dessus et nous finissons par
laisser tomber les explications en rigolant. Lors d'une pause, Alexander me
sert un grand cafe de sa thermos et le dernier sandwich que sa femme lui avait
prepare. Je croque alors dans l'epais jambon tiede en esperant ne pas avoir
d'effets secondaires. Mais c'est offert, ca ne se refuse pas. Il me donne aussi
du pain tout droit sorti d'un compartiment de sa fourgonnette. Decidement, il
m'aura vraiment choye !
En arrivant vers Omsk, il passe de nombreux appels radio pour me faire
continuer. A nouveau sans reponse. J'ai alors a contourner la ville par une
route que les routiers sont sense emprunter, mais la soiree commence et je dois
penser doucement a un point de chute pour camper. Me voila donc a decharger mes
bagages. Je peux desormais remercier allegrement mon ami.
Cela me souciait, avant de commencer mon voyage, de rencontrer de
nombreuses personnes et de devoir les quitter ensuite en sachant pertinament
que je ne reverais pas grand nombre d'entres elles. Finalement, je me fais a
cette idee, n'ayant pas non plus le choix, mais il m'est important de me souvenir
de chacunes de ces rencontres et de faire entendre l'aide qu'elles ont pu
m'apporter. Elles sont finalement comme des maillons de la chaine de mon
voyage. Sans l'un d'entres eux, je ne serais peut etre pas la ou j'en suis, en
bonne route et ravi de mon experience. Comme quoi, le Monde est peut etre bien
different de ce que l'on peut croire ; meme si j'entends bien que cela depende
des experiences de chacun. Me voici donc pied a terre quand un mini fourgon
benne plein de bouteilles de gaz arrive de nul part pour se garer a mon niveau.
"Hey, I will help you !" m'annonce Andrew des plus spontanement, si
bien que j'en suis sceptique. Mais soit, allons eclaircir se doute ! "I
will bring you home. Shower, diner and bed" complete t-il. Cela en devient surealiste !
De nouveau sur la route sans avoir eu a tendre le pouce, tous mes sens sont
en eveil pour deceler une eventuelle antourloupe. Je lui raconte le concept de
mon voyage, ma route passee et mes projets a venir. Je le questionne aussi sur
son metier et sa famille, en plus des sujets habituellement plus superficiels.
Mais c'est lorsqu'il m'annonce avec un ton et un regard digne de confiance
qu'il me conduira demain matin sur une station service a la sortie de la ville
que je quitte mon scepticisme et prend conscience de la chance qui m'arrive.
Jeremy Marie, un francais ayant accomplit un tour du Monde en auto-stop
pendant 5 ans (2007-2013 ; "Mon Tour du Monde en 1980 Jours"), fait
reference a une "bonne etoile" qui l'accompagne lorsqu'il est sorti
de situations delicates miraculeusement. Je suis tres loin de certaines de ses
experiences mais je commence a sentir une bonne energie qui me supporte aussi
dans ce voyage par de telles rencontres.
Andrew m'emmene donc dans son village en bordure de Omsk et a 10 minutes de
ma route. Celui-ci est forme d'une enceinte fermee et dotee d'une entree tenue
par un garde. Les petites parcelles, les une contres les autres et separees par
des palissades, me font penser a un entre deux de lotissement et de camping.
Pas de grandes maisons luxueuses, ici git un cadre plutot populaire ou tout le
monde semble se connaitre. Andrew construit ici sa maison en alternant 1
semaine de travail de livreur de gaz et 1 semaine sur son chantier. Ainsi, la
structure principale et le toit semblent bien avance et il espere avoir termine
avant l'hiver. Pourvu qu'il y arrive car la seule piece actuellement fermee
risque d'etre rudimentaire par un climat plus rigoureux.
Je rencontre aussi sa femme Natacha, policiere, alors qu'une longue soiree
commence. Je passe d'abord par le bania, la douche typique Russe situee au fond
du jardin dans un cabanon. J'y trouve une cuve d'eau sur un poele a bois, pour
l'eau chaude, et un gericane d'eau froide. Il suffit alors de faire son melange
dans une bassine. Quel pied ! Je me savonne et me re-savonne, adieu la
poussiere et les cheveux en paille ! Mais un detail me vient tardivement : je
ne suis pas sur d'avoir compris comment me rincer correctement... En esperant
bien faire, je fini par me verser la bassine sur le crane. C'est tout de meme
folklo ! Le petit plus de ce lieu, mi bania, mi abris a outils, ce sont les
pierres chaudes sur le poele. En les aspergeant d'eau, un nuage de vapeur se
degage et le mode hamam est alors active. Je pourrais y rester un bon moment
mais les autres doivent passer apres moi.
Plus tard, on m'invite a table, dans la zone a l’air libre de la maison, ou
je recois un borchtch, la soupe traditionnelle Russe que j'ai eu frequemment
l'occasion de manger. Ce bouillon de legumes et de viande passe alors tres bien
avec aussi un peu de creme. Andrew ouvre aussi une grande bouteille de biere de
2 L qu'il affone quasiment apres m'avoir servi un grand verre. Si jusque la
j'appreciais de boire ma biere avec du saucisson, ici on la boit avec du
poisson seche ; ce qui n'est pas mauvais non plus. On me sert aussi un gros
plat de pate avec des saucisses a croire que je semble necessiter autant
d'attention. Bien entendu, le tout est complete par une tasse de the. Je
remarque que malgre la grande gentillesse et la complicite du couple, le role
de la femme est d’avantage present en cuisine et aux taches menageres. Il
devient alors assez genant d’etre autant servi mais il faut se faire au statut
d’invite. Le frere de Natacha nous rejoint plus tard et la partie de rigolade
continue toujours a l’aide de mon Assimil Russe et des traductions d’Andrew qui
a passe quelques annees en Angleterre auparavant.
Il semble que la presence d’un etranger chez cette famille est
exceptionnelle, en consequence de quoi tout tourne autour de moi ce soir. Je
passe alors de l’autostoppeur vu parfois bizarrement, a une position centrale,
integre dans la famille. Au point qu’ils m’assurent souhaiter que je reste
d’avantage chez eux. Mais il me reste pas mal de route avant de rejoindre mon
amie Mylene qui arrive en Mongolie par avion le 27 Aout. Je dois aussi avouer
que j’attends impatiemment ma part de solitude au Lac Baikal. En effet, aussi
surprenant que cela puisse paraitre, je passe la majeur partie de mon temps
entoure d’autres personnes. C’est bien sur agreable et enrichissant mais un tel
voyage est aussi propice aux remises en question et a la reflexion sur le sens
de la Vie.
Malgre l’ambiance qui regne autour de la table, je ne peux m’empecher
d’afficher une certaine fatigue. Je m’imagine alors passer la nuit
confortablement installe dans le canape a l’air libre mais on m’invite a
prendre place dans la piece fermee ou un lit m’attend déjà. Contre un autre mur
se trouve le lit du couple qui, quelques instants plus tard y regarderont la TV
en murmurant de temps en temps. C’est alors pour moi un honneur qu’ils ne
fassent dormir dans la meme piece qu’eux. Ils pourraient souhaiter leur
intimite et leur propre confort, mais non. Il semble qu j’ai accede a un fort
degre de consideration de leur part, et j’en suis on ne peut plus touche.
Honnetement, combien d’entre nous ont déjà donne, ou recu, autant de
generosite a, ou de la part, de parfait inconnus ? Pour ma part, c’est
aujourd’hui une grande lecon de vie.
Si je comprends bien les allemands, polonais, lituaniens, russes et autres autochtones ont l'air plutôt sympas mais force est de constater, sans un léger sourire, que la plupart de ces personnes sont des routiers!! un vrai plébiscite pour la profession tes récits depuis le début du voyage :o) dommage que tu n'ai pas le permis international car j'ai l'impression que tu es devenu un fin connaisseur et que conduire serait une simple formalité :o)
RépondreSupprimerSuper sympa de lire tes anecdotes et passages romancés ponctués de temps de temps de savoureux "réfléchissement Jean Pierre" ©Dany Boon !! :o) Tout ça permet de voyager un petit peu avec toi (bon certes avec un mois de retard mais n'est pas Marty Mcfly qui veut!
Un dernier mot: Profite!
Ton beauf'
Merci pour ce magnifique récit... Les mots sonnent si juste. Ton texte donne l'impression qu'on y est aussi. Ce temoignage est rempli de gratitude aux belles personnes que tu rencontres... Hâte de lire la suite!Cécile
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